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Syndicat Sud Travail Affaires sociales du Ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale
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Sud Travail Affaires sociales
Meurtres sans importance audiovisuelle : deux inspecteurs du travail tués
Lu sur Acrimed : "Faire respecter le droit du travail, une mission mineure ? Lorsqu’un exploitant agricole abat un homme et une femme venus effectuer un contrôle, l’événement est expédié comme un petit fait-divers ; quant aux propos équivoques des représentants d’agriculteurs et aux manifestations des inspecteurs du travail, les journaux télévisés les ignorent.

    Jeudi 2 septembre 2004, en milieu d’après-midi à Saussignac (Dordogne), deux inspecteurs du travail sont tués par un exploitant agricole. Lorsque les deux fonctionnaires, Sylvie Trémouille et Daniel Buffière, se sont présentés, le viticulteur Claude Duviau [1], ancien militaire et ancien assureur, a discuté une quinzaine de minutes avec eux en s’emportant. Puis il est reparti dans sa maison, y a pris un fusil et est ressorti. Il a tiré une balle dans le ventre de Daniel Buffière ; Sylvie Trémouille a tenté de prendre la fuite, l’assassin l’a abattu dans le dos, la tuant sur le coup. Sa première victime est morte quelques heures plus tard. Le tueur a ensuite retourné l’arme contre lui, mais ne s’est que blessé à la mâchoire.

    Ce meurtre était une première : jamais, depuis la création de l’inspection du travail en 1892, des agents de cette administration chargée de faire respecter le droit du travail n’avaient été tués en mission. Pourtant, ce crime n’a guère remué dans l’instant les ministres prompts à déployer communiqués et déplacements devant les caméras lorsqu’un policier ou un gendarme est tué. Y a-t-il des meurtres de fonctionnaires plus importants que d’autres ? La relégation de l’affaire de Saussignac dans les basses eaux de l’actualité a également été le fait de maints médias, plus prompts à mobiliser leurs Unes sur des « marronniers » (la rentrée scolaire), « l’événement » du 3 septembre, le carnage de Beslan en Ossétie, ou le feuilleton des journalistes enlevés en Irak.

    Si la presse écrite a partiellement rempli son rôle (et, particulièrement Libération), les télévisions (et particulièrement les télévisions publiques) se sont distinguées en creux. Passage en revue des faits, écrits et émissions sur ce crime (un mot, au passage, très rarement employé par les journalistes, qui ont usé et abusé du plus flou « drame »).

    I. Un « fait divers dramatique » ?

    Jeudi 2 septembre -. Le meurtre a lieu vers 16h-16h30 jeudi 2 septembre. La première dépêche d’agence (AFP) aurait été diffusée vers 19h45, selon Gérard Filoche, inspecteur du travail qui a participé à deux émissions sur le traitement médiatique de l’affaire (ASI et Le Premier pouvoir, voir plus bas). Le crime est évoqué en une phrase dans les journaux télévisés de 20 heures. Le ministre de l’Agriculture Hervé Gaymard publie un communiqué « à la suite du décès des deux inspecteurs du travail, en Dordogne » (on notera dans ce titre de communiqué qu’il ne s’agit déjà « que » d’un décès, pas d’un meurtre...). Le ministre y fait part « de [s]a très vive émotion au sujet du drame qui vient de se dérouler en Dordogne » (bis sur l’appellation « drame »...), et poursuit : « Confronté à des difficultés extrêmes, le monde agricole et rural réunit des acteurs divers, qui partagent un même amour de leur métier. » Le ton est donné : les « difficultés extrêmes » des agriculteurs. Les journaux télévisés vont largement s’aligner sur la très œcuménique « compassion » exprimée par Hervé Gaymard.

    Vendredi 3 septembre -. A la mi-journée, sur France 3, où le sujet est traité en 1 minute 42 secondes, le journal télévisé ne fait parler qu’un voisin du viticulteur, le maire de la commune (que l’on entend également sur France 2), qui expose les difficultés de son voisin. « Il a craqué », explique Serge Mornac, maire de Saussignac, qui évoque le « ras-le-bol » de l’agriculteur, qui voulait vendre son exploitation et n’a pas pu. « Il a craqué. » Transposons : si un jeune de banlieue avait tué un policier, imagine-t-on les journalistes filmant un ami ou voisin du meurtrier décrivant ses difficultés, chômage ou problèmes familiaux, et seulement cet ami ?

    Sur France 2, le journal de 13 heures, d’une cinquantaine de minutes commence par quatre titres : fin de la prise d’otages en Ossétie, journalistes otages en Irak, hausse des dépenses de médicaments en France et signaux peut-être extra-terrestres captés par des astronomes. Pas annoncé parmi les « grands titres » de ce JT donc, le meurtre de Dordogne est traité en 2 minutes 5 secondes. Il arrive en milieu de journal, après l’annonce sans images d’un accord sur le prix du lait entre producteurs et industriels. Le reportage s’ouvre par l’image d’une femme ne parvenant pas à contenir ses larmes. C’est la standardiste de la Direction départementale de l’agriculture et de la forêt à Périgueux, où les collègues de « Sylvie » [Trémouille] sont « sous le choc ». Le préfet [et lui seulement...] s’est rendu le matin auprès des fonctionnaires.

    Rendons-lui cette justice : ce reportage au moins, contrairement à celui de France 3, donne chair et prénom à une des victimes. Une collègue et un supérieur parlent d’elle. Une photo de groupe la présente, avec quelques mots sur sa récente promotion. Cependant, le reportage élude les circonstances du meurtre : « L’agriculteur, occupé au ramassage des prunes, ouvre le feu sur deux inspecteurs qui se présentent pour un contrôle de routine. Ils sont tués, l’agriculteur retourne l’arme contre lui.  » Cette version soft passe sous silence des faits décisifs : l’assassin, après s’être emporté contre ses visiteurs, est retourné délibérément dans sa maison chercher l’arme ; après avoir tiré sur l’homme, il a abattu dans le dos sa deuxième victime qui tentait de lui échapper.

    Dans les fédérations agricoles, explique le reportage de France 2, « la condamnation est unanime ». Vraiment ? A l’image, on voit Bernard Laval, président de la Chambre d’agriculture de la Dordogne, qui explique que « nous vivons dans une société de plus en plus dure, où les gens qui sont psychologiquement les plus faibles arrivent à disjoncter ».

    Aucun des deux journaux du service public ne traite du contexte de ce double meurtre : des inspecteurs du travail qui font un contrôle de routine dans une entreprise de fruits et vignobles, secteur où on estime que 18% des 800.000 saisonniers n’ont pas de contrat de travail, et où plus de la moitié travaillent 56 heures par semaine (chiffres rappelés par Gérard Filoche dans les émissions mentionnées). Quant à revenir sur les velléités de suppression ou de forte dégradation de l’inspection du travail manifestées en 2003 par 81 parlementaires UMP [2] ou demandées par le Medef, ce serait naturellement de la science-fiction.

    France 2, JT de 20 heures, l’affaire n’est toujours pas au sommaire (cinq sujets : fin de la prise d’otages en Ossétie, « sort de nos confrères » journalistes en Irak, campagne présidentielle américaine, dépenses de médicaments et festival de films de Deauville). Après un sujet sur les écoliers allergiques dans les cantines (nous sommes alors le lendemain de la rentrée des classes), la présentatrice lance, à la 24ème minute, le sujet sur le meurtre : « En Dordogne, c’est toujours l’incompréhension ». On reste dans le registre du fait-divers, tragique et inexplicable : la présentatrice Béatrice Schönberg annonce l’ouverture prévue le lendemain d’une information judiciaire « pour tenter de comprendre ce geste dément et imprévisible » [3]. Le reportage est celui déjà passé au JT de 13 h, raccourci (1 minute 48). On apprend que les collègues de « Sylvie » (elle n’a toujours pas de nom de famille) ont observé une minute de silence. Même présentation allégée des circonstances du crime (le mot « crime » n’est d’ailleurs jamais prononcé dans le reportage ni sa présentation, à 13 h comme à 20 h).

    « La condamnation du monde agricole est unanime », répète le reportage, qui a changé d’interviewé pour mieux l’illustrer : cette fois c’est Eric Chassagne, président de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) de Dordogne, qui en effet condamne. Cette belle unanimité aurait pu être troublée par la citation d’une dépêche Reuters de 15h35, toujours ce vendredi 3 septembre. L’agence y cite la Coordination rurale (CR), qui « a pointé le "désespoir des paysans spoliés". "Le drame qui vient de se dérouler en Dordogne démontre, hélas, l’ampleur du désespoir des paysans spoliés de leurs droits fondamentaux et soumis à des contraintes inacceptables", écrit la CR dans un communiqué. » « Le président de la Coordination rurale, François Lucas, s’est pour sa part déclaré "atterré par cet acte insensé et désespéré" mais il a également mis en garde les pouvoirs publics contre "la désespérance et la détérioration du moral des agriculteurs". » L’agence de presse mentionne également que « la FNSEA estime que "rien ne peut justifier un tel acte". Elle appelle toutefois "l’attention de tous sur les conditions de vie de plus en plus difficiles de nombreux exploitants". » De cette discrète atténuation de l’horreur du double meurtre par des syndicats d’exploitants agricoles, rien ne transparaît à la télévision.

    II. Un « fait divers » révélateur ?

    Le Monde daté du samedi 4 septembre précise que le meurtrier est un ancien militaire (les autres reportages, de presse écrite ou audiovisuelle, mentionnent jusqu’alors seulement que Claude Duviau a été assureur avant de se reconvertir dans l’agriculture). L’article cite « un de ses fournisseurs [qui] affirme l’avoir entendu maugréer la semaine dernière : ‘tu vas voir mon nom dans les journaux, ce sera pas en bien !’ ». A nouveau on n’est pas dans la version du « coup de folie » imprévisible servie par tous les journaux télévisés. Le quotidien mentionne le directeur départemental de la MSA [4], pour lequel « l’exploitation de M. Dubiau, consacrée à la prune et à la vigne, ne connaissait pas des difficultés supérieures à celles que vivent d’autres dans une région touchée par la crise. [5] Là encore, les faits semblent démentir la thèse du pur fait-divers, avec un agriculteur financièrement aux abois et « victime » d’un coup de sang subit [6]. A ce stade, le vendredi, aucun journal n’a encore évoqué les difficultés des inspecteurs à faire respecter le droit du travail ou la condition sociale des saisonniers.

    Le Figaro reprend dans son article sur le « drame » le récit du maire de Saussignac sur les difficultés supposées de l’exploitant. Pas plus que Le Monde, il ne donne la moindre information personnelle sur les deux victimes (chacune laisse un orphelin, mais ce n’est pas dans ces quotidiens qu’on l’apprendra, pas plus que leur âge - Daniel Buffière avait 47 ans, Sylvie Trémouille 40 ans). Le Monde, peut-être grâce à son bouclage plus tardif, précise leurs noms et qualités exacts [7].

    Outre les nombreuses organisations syndicales et associatives qui réagissent au meurtre, le président de la République publie à son tour un communiqué titré « Inspecteurs du travail tués : le Président de la République exprime sa compassion aux familles » dans « ce drame ». Trois de ses ministres, Jean-Louis Borloo, Hervé Gaymard et Gérard Larcher (Emploi, Agriculture et Relations du travail) publient de même un « message à la suite du décès des deux inspecteurs du travail ». » Ils y affirment « solennellement que le travail est un des piliers essentiels de la cohésion sociale. Il est l’une des valeurs fondamentales de notre République qui doit être protégée ; c’est la mission des corps de contrôle chargés de veiller au respect et à l’application effective des lois et règlements. [On pourrait penser que c’est le droit qui est un pilier etc. et non le travail en soi...] Nous sommes particulièrement attachés au respect du droit ainsi qu’à la proximité et au dialogue [un message en deux temps qui rappelle les balancements des syndicats agricoles... ce qu’aucun journal ne commentera], composantes indispensables des relations sociales au sein du monde agricole (...). »


    Samedi 4 septembre :
    le moment est peut-être venu, dans la presse écrite, de donner enfin la parole aux inspecteurs du travail. C’est ce que fait Libération qui publie un article - « L’inspection du travail sous le choc du double meurtre » - dont le chapeau indique que « la tuerie en Dordogne met en évidence les difficultés de la profession ». Plusieurs témoignages d’inspecteurs du travail racontent leur mission, souvent houleuse [8] Le quotidien raconte que « des agents sont victimes de campagnes d’affichage sauvage, avec, sous leur photo, cette mention : « le fonctionnaire le plus con du ministère »... [9]Aujourd’hui, environ 7% des PV dressés par les inspecteurs et contrôleurs relèvent des incidents pendant les contrôles. Mais les agressions ne sont pas toujours déclarées. ‘On nous fout à la porte, on nous empêche physiquement d’entrer, sans oublier les menaces de fermeture et de délocalisation si on insiste’, dit Daniel, inspecteur en Rhône-Alpes. »

    Dans Le Monde daté des 5 et 6 septembre, un article souligne à son tour que « les syndicats dénoncent les agressions contre les inspecteurs du travail », citant de façon plus institutionnelle des extraits de communiqués de plusieurs organisations.

    III. Manifestations et obsèques : la presse écrite relate...

    Lundi 6 septembre - Une dépêche AFP (16h56) annonce la mise en examen de l’agriculteur et indique que trois ministres, dont celui de l’Agriculture, participeront le lendemain aux obsèques des victimes (un quatrième, Jean-Louis Borloo, va aussi s’y rendre après l’avoir décidé ou annoncé plus tard). L’agence annonce dans une autre dépêche (17h56) que « à l’occasion des funérailles, plusieurs Directions départementales du Travail et de l’emploi -Rhône et Rhône Alpes, Champagne-Ardenne, Picardie, Nord-Pas-de-Calais, Landes ou Pyrénées-Atlantiques- ont décidé de fermer, en signe de solidarité avec les familles.
    Ces deux décès ont provoqué une très vive émotion en Dordogne et suscité de multiples réactions en France, de la part des autorités, des syndicats - CFDT, CFE-CGC, CGT ou FO - ou partis politiques. » Sur cette dernière phrase, à notre connaissance, aucun journal n’a eu l’insolence de souligner que l’UMP n’a pas publié de communiqué sur l’affaire de Saussignac [10]. Le Monde du week-end observe elliptiquement que « syndicats et partis politiques de gauche ont largement exprimé leur émotion ».
    L’Humanité, qui avait publié une simple brève le samedi 4 septembre (qui en plus parlait d’un mort et d’une victime « grièvement blessée » au lieu de deux morts !), consacre enfin un article à l’affaire le lundi ; outre le rappel des faits, il se borne à citer les réactions syndicales.

    Mardi 7 septembre - En Dordogne, le matin à Azerat et l’après-midi à Bassillac, Sylvie Trémouille et Daniel Buffière sont enterrés. Un millier de personnes assistent à chacune des cérémonies, ainsi que les ministres Borloo, Gaymard, Larcher et Saint Sernin (Aménagement du territoire). Dans son discours d’hommage à l’enterrement de Daniel Buffière, Hervé Gaymard réitère son interprétation du crime, celle reprise par les journaux télévisés du 3 septembre, en affirmant : « Un homme sous l’empire d’un moment de folie a abattu deux agents publics qui faisaient leurs métiers au service de la collectivité tout entière ».

    Outre l’affluence et la présence (tardive... mais nul ne le relèvera) de quatre ministres, diverses dépêches d’agences et la presse régionale du lendemain 8 septembre mentionnent les manifestations d’inspecteurs du travail : plusieurs centaines devant le siège du Medef à Paris. Le Parisien du 8 septembre mentionne que « des manifestations de soutien ont été organisées également à Lyon, Dijon et Mâcon ». Une dépêche AFP du 7 septembre précise que chacune de ces manifestations réunissait une centaine d’agents de l’inspection du travail et de travailleurs sociaux [11].

    L’édition du Val-de-Marne du Parisien du 8 septembre passe un article et une photo de la manifestation le 7 à Créteil, d’une cinquantaine d’agents de l’inspection du travail, « envahis par l’émotion et la colère ». « ‘Nous subissons des insultes, des quolibets, les patrons nous rient au nez (...). Il devient très difficile d’exercer notre métier sereinement. En cas d’outrage, nous ne recevons aucun soutien de notre hiérarchie. Nous sommes seuls et livrés à nous-mêmes.’ (...) ‘La plupart du temps, nos PV sont classés sans suite, déplore un agent. Parfois, la justice daigne faire un rappel à la loi trois ans après les faits...’ » (un article de qualité dont on peut se demander pourquoi il n’a figuré que dans une édition départementale ; mais Le Parisien est [coutumier de ces décalages (Lire par exemple « Forum 2003 : Le Parisien préfère ses banlieues »).

    La presse quotidienne régionale du lendemain mentionne des manifestations d’agents du ministère du Travail, révoltés par le crime de Saussignac, se sont déroulées à plusieurs endroits en France ce mardi-là. Les Dernières Nouvelles d’Alsace, par exemple, rapporte l’évocation par les syndicats à Strasbourg de « la montée des agressions verbales auxquelles sont de plus en plus confrontés les agents du service public du travail, agressions venant de la part des employeurs. » Paris-Normandie raconte également que le mardi 7 « au siège de la Direction départementale du travail de Rouen, les services d’accueil ont été fermés au public. (...) Tous [les inspecteurs] pointent le manque de contre-pouvoir dans les entreprises. Les syndicats ainsi que les représentants du personnel peinent à jouer ce rôle nécessaire dans la négociation au sein des entreprises, si bien que les inspecteurs du travail ont l’impression de servir de ‘dernier rempart’ au côté des salariés. »

    Libération du 8 septembre fait à nouveau ressortir le contexte propice à des violences, dans un article de sa correspondante à Lille. Elle raconte que dans cette ville 200 personnes ont manifesté, « vêtus de noir ou portant un brassard », certains portant « le code du travail, entouré d’un ruban noir, lui aussi  ». La journaliste donne la parole à une des manifestantes, inspectrice du travail bouleversée par l’écho, pour elle qui a été agressée six ans plus tôt, du meurtre de Dordogne. [12] Une exception sidérante : L’Humanité n’a à notre connaissance rien publié le 8 septembre sur ces manifestations ni sur les obsèques.

    ...les télés font l’impasse

    La présence de quatre ministres explique sans doute que les enterrements n’ont pu être totalement oubliés des journaux télévisés... mais il s’en est fallu de peu. Les manifestations à travers la France ont été totalement passées sous silence. Aux journaux de 13 heures, 23 secondes sur TF1 et 15 secondes sur France 2 ! Le soir, l’édition nationale de France 3 (19-20) d’Elise Lucet consacre 16 secondes au sujet. Le summum est atteint avec le 20 heures présenté par David Pujadas : ce soir-là, sur les trois quarts d’heure du journal de France 2, c’est le silence pur et simple sur les obsèques. Comme l’a constaté Acrimed, cette édition comprenait des sujets aussi essentiels que l’amour de Bill Clinton pour la malbouffe ou les tenues vestimentaires de la joueuse de tennis Serena Williams, tout cela images d’archives et commentaires enjoués à l’appui. Dans son chat hebdomadaire avec des internautes sur le site de Libération, Daniel Schneidermann commente, mardi 14 septembre : « (...) les politiques se sont moins mobilisés que lors des meurtres de policiers ou de pompiers, par exemple, mais il me semble que dans ce désert de réactions, ils se sont tout de même davantage mobilisés que les journalistes. N’oubliez pas qu’il y avait tout de même quatre ministres présents aux obsèques, ce qui n’a pas empêché ces obsèques de n’avoir droit qu’à quelques secondes d’antenne. »

    IV. Des critiques opportunes...

    Force est de le constater, la faillite des télévisions n’est pas passée inaperçue.

    Le vendredi 10 septembre, dans sa chronique hebdomadaire à Libération, titrée « Double meurtre, double oubli », Daniel Schneidermann analyse le scandale qu’a été la couverture télévisuelle du double meurtre de Saussignac. Une analyse fondée, à en juger par nos propres vérifications et qui, pour cette raison, mérite d’être citée amplement [13].

    Le chroniqueur rappelle d’abord les débuts du JT de TF1 du vendredi 3 septembre, y compris un creux micro-trottoir sur les journalistes français otages en Irak et l’attente d’un ouragan en Floride. Il observe que « le reportage ne nous donne pas les noms des deux inspecteurs. Sur l’agriculteur meurtrier, on connaît tout. Son nom, bien entendu. Ses difficultés financières. Son espoir déçu quand il avait cru trouver un repreneur pour l’exploitation et pouvoir ainsi partir en retraite, avant de se heurter au refus du tribunal. On entend un voisin de l’agriculteur, le maire du village. Mais les visages des deux victimes, on ne nous les montrera pas. A jamais, ils resteront anonymes. Les proches des deux victimes, leur douleur, nous ne les verrons pas. On n’interrogera pas de passants dans leurs villages à eux (...). Un modèle de sobriété informative. A étudier dans les écoles. Pas de mise en scène. Pas de trémolos. Pas d’envoyé spécial pour faire le point de l’avancée de l’enquête. Pas de sanctification des victimes. Sauf à considérer que la victime, c’est l’agriculteur. Avec ses problèmes de financement, sa retraite, son jugement. (...) Mais en face ? Sur les chaînes du service public ? La vérité oblige à dire que le double meurtre n’a pas mobilisé davantage. (...) De même, aucun sujet ne nous rappelle pourquoi les inspecteurs du travail vont contrôler les cueilleurs de prunes. (...) les obsèques non plus ne sont pas jugées médiatiquement exploitables. (...) La cérémonie n’a même pas droit à un reportage à part entière. Pas comme les policiers ou les gendarmes tués, eux aussi, dans l’exercice de leur mission. Là, le téléspectateur a droit aux femmes, aux enfants, aux obsèques officielles. (...) Il y a les émotions médiatiquement légitimes, et les autres. Pompiers, gendarmes, policiers, journalistes, voyagent sur le pont supérieur. Pas les inspecteurs du travail, relégués dans les soutes. »

    Samedi 11 septembre, la nouvelle émission hebdomadaire Le Premier pouvoir, animée par Elisabeth Lévy, consacre une séquence à la sous-médiatisation du double meurtre. Gérard Filoche, invité, raconte avoir téléphoné à la rédaction de France Inter le vendredi 3 septembre, en s’étonnant du silence sur Saussignac. Résultat : le sujet a été traité sur cette antenne dans le journal de 14 heures... pour disparaître dès celui de 15 heures [14].

    Mais l’émission de France Culture est l’occasion d’entendre deux défenses de la presse : pour Lise Joly, de France Inter, le passage à la trappe du sujet tient à la malchance, « un calendrier assez particulier », la fin sanglante de la prise d’otages de Beslan en Ossétie du Nord, à côté de laquelle le crime de Dordogne restait « pour l’instant une histoire isolée ». On imagine que le préfet Erignac a eu de la chance de ne pas être assassiné un jour d’actualité trop chargé...Hélène Risser, qui habituellement est journaliste à... Arrêt sur Images, a, quant à elle, justifié le peu d’empressement de ses confrères à traiter ce meurtre car elle ne pense « pas qu’on puisse en tirer une morale, un sens », « ça reste un fait-divers isolé » dans un premier temps. Elisabeth Lévy lui a rétorqué que l’agriculteur n’a pas tiré au hasard, mais sur des personnes venus vérifier l’application de la loi, jugeant son interlocutrice « très indulgente », et a rendu hommage à Libération.

    Dimanche 12 septembre est diffusée l’émission Arrêt sur Images (ASI) sur France 5 (enregistrée le vendredi précédent). Une séquence de douze minutes est consacrée à l’affaire de Saussignac, à nouveau avec Gérard Filoche. Ce passage d’une émission de télévision est, à ce jour, le seul à sauver l’honneur du service public, de bout en bout manquant à tous ses devoirs, dans cette affaire.

    ...Mais peut-être incomplètes

    Pourtant trois questions, au moins méritent d’être posées.

    - Que ce serait-il passé si Gérard Filoche, fort de sa légitimité sur le « dossier » de l’inspection du travail, n’avait pas alerté la presse sur ses... « défaillances » ? Il est vraisemblable que sa critique médiatique, du moins dans la version « culturelle » qu’en propose la nouvelle émission de France Culture, se serait tue. Sur Internet, dès le 3 septembre, Gérard Filoche est interviewé par le quotidien en ligne du Nouvel Observateur. Inspecteur du travail, socialiste et auteur du livre Le travail jetable, il est le premier à souligner que «  les médias ont occulté complètement cet événement  » Et de poursuivre : «  Il a fallu attendre le journal télévisé de la nuit pour en entendre parler et encore dans une brève. Lorsqu’il s’agit de deux journalistes menacés en Irak, ça fait la une, mais deux inspecteurs du travail... Il ne s’agit pourtant pas d’un simple fait divers, il s’agit d’un fait de société. ». Il sera entendu par... quelques journalistes en charge du décryptage des médias.

    - Que ce serait-il passé sur les chaînes de télévision si des ministres soudain tirés de leur torpeur par les manifestations n’avaient pas daignés se déplacer pour se rendre aux enterrements ? [15] Comment ne pas penser que si, par exemple, un ou plusieurs ministres s’étaient rendus en Dordogne dès le jour du meurtre ou le lendemain, la presse, et tout particulièrement les journaux télévisés, n’auraient pas été aussi silencieux. Il est vrai que même la secrétaire d’Etat aux Kleenex, pardon, aux Droits des victimes, Nicole Guedj, ne s’était pas déplacée... Mais des journalistes dignes de ce nom sont-ils supposés s’aligner sur la pleureuse officielle du gouvernement ?

    - Enfin et surtout : comment expliquer que des journalistes (mais pas tous...) si prompts à transformer en « phénomène de société » le moindre acte de délinquance qu’ils renoncent à expliquer pour ne pas alimenter la « culture de l’excuse », expliquent ou croient expliquer avec tant de complaisance le meurtre perpétré par un agriculteur et ne voient pas dans les agressions dont sont victimes les inspecteurs du travail un « phénomène de société » : une conséquence des remises en cause des droits des travailleurs par la dérégulation libérale ?

    L’inspectrice du travail interrogée par Libération (et mentionnée plus haut) déclarait : « Depuis 1993, dans la moitié du département du Nord, il y a eu 128 obstacles à nos missions. Cela va du refus de présenter des documents jusqu’à des situations de violence. Les patrons ont le nez sur le guidon, ça concourt aux ambiances délétères. (...) Quand on dit à certains chefs d’entreprise qu’ils commettent un délit, ils ne comprennent pas. Pour eux, le délit, c’est le gamin qui pique un autoradio. » Critique des médias, peut-être involontaire : cette dernière phrase donne peut-être la clé de la négligence des journaux télévisés sur l’affaire de Saussignac : pour eux aussi sans doute, la délinquance c’est le vol de portable ou les banlieues, mais pas la délinquance du patron qui piétine les droits de ses salariés. Un « point aveugle » qui va de pair avec la vue très biaisée qu’ont nombre de journalistes envers les conflits sociaux [16] La véritable critique des médias est donc venue des inspecteurs du travail qui, en manifestant contre le climat de tension voire de violence qu’ils rencontrent dans leur mission..., ont également protesté contre le silence sur les violations des droits des salariés dans des médias qui considèrent que le sujet n’est pas « porteur » et n’entre pas dans la case « insécurité ». D’où sans doute ce délaissement de l’affaire de Saussignac, « fait-divers isolé » dont « on ne peut pas tirer de sens », paraît-il.

    Jérôme Martineau

    P.S. Le jour même où nous publions cet article, paraissent dans la presse (et notamment dans Libération et Le Monde), des articles sur le (ou à l’occasion du) mouvement de protestation et de grève des inspecteurs du travail. A suivre...


    [1] ou Gérard Dubiau, les différents articles oscillant curieusement entre les deux noms

    [2] Voir « La mort de l’inspection du travail », article de Gérard Filoche, 5 septembre 2003, sur la proposition de loi n° 914 du 13 juin 2003 visant à réformer le statut de l’inspection du travail et à en changer la dénomination. Extrait : « Il n’y a que 427 inspecteurs du travail, 813 contrôleurs en section d’inspection, pour 1,2 millions d’entreprises, et 15 515 700 salariés, pour 400 lois et 8000 décrets. Ils sont moins nombreux qu’au début du 20° siècle (...) »

    [3] La présentatrice est régulièrement montrée par les gazettes people avec son compagnon le ministre Jean-Louis Borloo, ce qui au vu de la réaction de ce dernier rapportée par Daniel Schneidermann, prêterait à sourire dans une affaire moins tragique que ce meurtre.

    [4] Mutuelle sociale agricole, à laquelle appartenait Daniel Buffière

    [5] ‘Des gens en difficultés, il y en a un certain nombre en Dordogne mais cette exploitation semblait se rétablir. L’exploitant venait de payer des cotisations et sa situation n’était pas dramatique’, soutient M. Cornil. »

    [6] Seuls les téléspectateurs d’Arrêt sur Images (ASI) apprendront plus tard de Gérard Filoche, que l’agriculteur meurtrier avait déjà été condamné deux ans plus tôt à 600 euros d’amende pour emploi de travailleurs clandestins. La journaliste d’ASI Christelle Ploquin a indiqué, outre les minutages effarants des JT du jour des obsèques, qu’un rapport administratif au ministre de l’Agriculture signalait que le tueur n’avait pas de difficultés financières et n’était pas en déficit.

    [7] respectivement inspecteur de la Mutualité sociale agricole et employée de l’Inspection du travail, de l’emploi et de la politique sociale agricoles

    [8] ‘Quand on va visiter une entreprise, on ne prend pas rendez-vous, dit Françoise, inspecteur depuis quinze ans à Paris. Bien souvent, le patron prend ça pour un viol de sa propriété, surtout quand il s’agit du patron d’une PME en difficulté économique.’ Et en cas d’infractions au droit du travail, assez courantes dans les secteurs qui reposent sur l’emploi de saisonniers comme l’agriculture, l’hôtellerie-restauration ou le bâtiment, les condamnations « sont minimales et toujours très tardives’, poursuit-elle. »

    [9] Ce genre de manifestation hostile trouve parfois des relais dans la presse : dans Arrêt sur Images, les journalistes ont mentionné un article paru dans Sud-Ouest, sur « le prix Ours de l’année » décerné par la Coordination rurale au « fonctionnaire le plus nuisible de l’année ». On pouvait lire à propos du double meurtre de Saussignac une apologie de la « chasse aux nuisibles », a relevé Gérard Filoche dans les forums Internet déchaînés de la dite Coordination rurale...

    [10] elle n’a par contre pas manqué de saluer la mémoire de feu Raymond Marcellin, ancien ministre de l’Intérieur de Georges Pompidou

    [11] La dépêche indique aussi que « la direction régionale du travail à Lyon ainsi que les directions départementales en Rhône-Alpes étaient fermées au public mardi, en signe de deuil. A Dijon et Mâcon, une centaine d’agents des services de l’inspection du travail ont fait une marche silencieuse jusqu’à la préfecture, où une délégation a été reçue, selon la police. En Côte-d’Or et dans l’Yonne, les services de l’inspection du travail étaient également fermés au public »

    [12] « J’ai revécu tout le film de la nuit du 27 septembre 1998, où j’ai été molestée avec un collègue, lors d’un contrôle ordinaire, alors que je remplaçais une inspectrice hors de mon secteur. J’ai tout revécu, les mots, les attitudes, les gestes. (...). » Je me suis présentée un dimanche, à une heure du matin, dans les ateliers, avec un collègue. On a commencé à relever les noms des salariés dans l’atelier. L’employeur est arrivé, hors de lui, m’a arraché mon cahier de renseignements. Je le lui ai repris. Il me suivait. Il ne nous a pas laissé le temps de nous exprimer. Il a arraché et piétiné les lunettes de mon collègue et tenté de lui prendre sa carte d’inspecteur. Son épouse lui a tiré les cheveux, l’a griffé. D’autres m’ont prise par le bras, bousculée, insultée d’une manière épouvantable. On peut se poser des questions quant au respect des salariés quand un représentant de la loi est traité comme ça. Le patron de l’entreprise a pris de la prison avec sursis. Malgré le traumatisme, on a continué à travailler, le boulot était là, les décisions à prendre, les enquêtes à faire : je couvre un secteur de 120 entreprises. (...)

    [13] D’autant que nous ne sommes pas toujours très tendres à l’endroit de cette forme de critique...

    [14] On remarquera que le militantisme de Gérard Filoche, expert reconnu du droit du travail et infatigable mobilisateur, a manifestement eu un effet sur plusieurs médias... même s’il n’a été, comme dans le cas de France Inter, qu’éphémère.

    [15] Dans son chat déjà mentionné sur le site de Libération, Daniel Schneidermann révèle que Jean-Louis Borloo lui a dit déplorer le peu de réaction des médias : « (...) je vais vous raconter les suites de cette chronique. Vendredi après-midi, [10 septembre] le jour de la parution, j’ai eu droit à un appel téléphonique de Jean-Louis Borloo, le ministre du Travail en personne. Pensez donc si j’étais à la fois impressionné et inquiet ! Je me suis tout de suite demandé quelle bêtise j’avais écrite. Et bien pas du tout ! Il tenait simplement à me dire qu’il partageait mot pour mot ce que j’avais écrit dans la chronique et qu’il déplorait que le double meurtre n’ait pas suscité davantage de réactions. » Prêt à tout, le Borloo !

    [16] Lire, de Gilles Balbastre et Pierre Rimbert, dans Le Monde Diplomatique : « Les médias, gardiens de l’ordre social ».

    Ecrit par sudiste, le Mercredi 22 Septembre 2004, 10:25 dans la rubrique "Actualité".


    Commentaires :

      Gamin
    22-09-04
    à 12:06

    J'ai qu'un mot à dire : lamentable !!

    La réaction des pouvoirs publics est lamentable, tout comme celle des JT et des divers médias... C'est vrai qu'un policier qui se fait tuer, ça fait plus de bruit y'a pas photo !!

    Je sais plus quoi penser, mais nous vivons décidément dans une société bien aberrante...


      Anonyme
    25-11-04
    à 06:05

    hommage à retardement

    Maire d'un petit village en Dordogne et fils d'agriculteur, je connaissais Daniel Buffière et son assassinat ainsi que celui de sa collègue m'a profondément choqué.
    Une réaction à la lecture de cet article auquel je ne peux qu'adhérer. Parmi les habitants de mon village, plusieurs habitants sont notoirement connus pour les menaces (et plus) qu'ils ont proférés à l'encontre de leurs voisins ou représentants d'une administration (de municipale à état). Ces mêmes individus sont aussi chasseurs. Leurs réactions primaires assorties d'un permis de détention d'armes font d'eux des dangers potentiels permanents...tant q'il n'y a pas de mort, on ne bougera pas, c'est la loi.
    Une "publicité" médiatique pourrait occasionner chez eux une poussée de mauvaise humeur en leur montrant que la solution du meurtre est la seule. Il n'y a pas de mafia puisqu'ils ne sont pas fédérés autrement qu'en association de chasse...sans pour autant être le bras armé du MEDEF!?
    Voilà, un bémol à la décharge des journalistes qui ne sont pas forcément tous à la solde d'un pouvoir.